« UN GROS CHAGRIN Un mot désuet. Je crois bien ne l'avoir jamais entendu sortir de la bouche de mes patients. Trop imprégné du temps de l'enfance? On ne l'avouait pas alors, son chagrin, et même on pouvait le nier quand notre mère, croyant nous deviner - elle se trompait parfois et nous ne voulions pas être consolés de ce qui nous appartenait en propre - , se penchait vers nous avec sollicitude: " Oh, le gros chagrin!" Qui ose aujourd'hui parler de chagrin d'amour? Plutôt dire, pour atténuer le choc, "déception amoureuse", quand ce n'est pas, chez ceux qui croient que les mots de la psychanalyse vont plus profond, "angoisse de la séparation", "travail de deuil", "perte d'objet". Si, pourtant, je l'ai entendu prononcer une fois, ce mot "chagrin", par un homme qui venait d'être chassé sans ménagement par sa compagne. Un vieil homme. C'est peut-être pourquoi il n'avait pas honte de dire ce mot venu de l'enfance. Quand je lui demandai ce qui l'amenait à venir me voir, sa réponse fut: "J'ai du chagrin, je suis dans la peine." Je n'ai pas oublié ce "dans". En prison, avec pour unique compagnon de cellule son chagrin. Son chagrin d'enfant abandonné - qu'on ne compte pas sur lui pour gémir! -, son chagrin de vieil homme qui redoute de voir sa vie se réduire comme une peau de chagrin et de mourir seul au monde. »
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Jean-Bertrand Pontalis
Fenêtres |
Jean-Bertrand Pontalis
Fenêtres
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« Chaque année passée au lycée comme élève, j'eus un "meilleur ami", celui qu'on raccompagne chez lui et qui vous raccompagne à son tour, dans une succession d'allers et retours, comme si on ne devait jamais se quitter, et pourtant, on se quitte l'année suivante. `...` Ces amitiés d'une année se nouaient et se dénouaient pour ainsi dire toutes seules, aussi soudaines et imprévisibles dans leur naissance que dans leur effacement. »
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Jean-Bertrand Pontalis
Le songe de Monomotapa |
Jean-Bertrand Pontalis
Le songe de Monomotapa
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« D'où vient que nous élisions certains mots ? Qu'il y en ait à nos yeux d'aimables ou de détestables alors que d'autres ne nous disent rien, et qu'il en existe de si lourds qu'il nous paraisse urgent de nous en délivrer ? »
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Jean-Bertrand Pontalis
Fenêtres |
Jean-Bertrand Pontalis
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