« Le déphasage entre discours et conduites, qui ne date pas d'hier et ne finira pas demain, suscite dans notre "communauté internationale" un effet tragi-comique, tels ces films mal doublés où la bande-image fait des niches à la bande-son. L'acteur est un schizo de bonne foi. Le spectateur en rit, sûr que cela n'arrive qu'aux autres. Mais le moment venu, il sera sujet au même décalage. Le républicain français à chapeau melon, qui vantait l'égalité de tous devant la loi en privait sa moitié féminine sans mauvaise conscience aucune, et ce chantre de l'Égalité promouvait tranquillement l'inégalité dans l'Empire (le statut de l'indigénat distinguait entre sujets et citoyens). Tel apôtre des droits de l'homme, 'globe-trotter' infatigable, fera spontanément l'impasse sur les violations commises par sa communauté de référence. Lui fait-on remarquer cet angle mort sur son écran-radar qu'il sursautera : "On ne peut pas comparer." Avec les nôtres, c'est toujours autre chose. La juste réciprocité s'arrête où l'intérêt et l'affect commencent. »
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Régis Debray
Le feu sacré |
Régis Debray
Le feu sacré
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« L'appartenance confessionnelle cimente un groupe humain comme ne le fait pas la science, et le sépare de son voisin mieux qu'un conflit d'intérêt. Chaque canton se serre les coudes, en face à face avec son rival. Solidarité entre nous, animosité envers eux, sont le pile et le face d'un travail sans fin d'immunisation collective. Impossible de faire éprouver aux miens "la douceur d'être inclus" sans infliger à d'autres la douleur d'être exclus. Ce chaud-froid, ce blanc-noir des identités à la fois vivifiantes et mortifères, nos professions de foi humanistes les récusent, mais aucune culture n'y échappe sur la durée, qu'elle ait un Dieu, plusieurs ou aucun. »
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Régis Debray
Le feu sacré |
Régis Debray
Le feu sacré
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« “Le mur interdit le passage, la frontière le régule. Dire d’une frontière qu’elle est une passoire c’est lui rendre son dû : elle est là pour filtrer (…) les pores font respirer la peau comme les ports, les îles et les ponts, les fleuves. (…) Gardienne du caractère propre, remède au nombrilisme, école de modestie, aphrodisiaque léger, pousse-au-rêve, une frontière reconnue est le meilleur vaccin possible contre l’épidémie des murs. Opposant l’identité-relation à l’identité racine, refusant de choisir entre l’évaporé et l’enkysté, loin du commun qui dissout et du chauvin qui ossifie, l’anti-mur dont je parle est mieux qu’une provocation au voyage : il appelle à un partage du monde.” »
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Régis Debray
Eloge des frontières |
Régis Debray
Eloge des frontières
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