« On peut vivre en république, et profiter de l'aubaine, sans se conduire en républicain. C'est même le plus courant. Et de mauvais augure. Une république de stuc et de papier, livrée aux mécanismes impersonnels de l'Etat de droit, sans citoyen pour en faire vivre l'esprit, est un château de cartes. Un souffle peut l'emporter. »
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Régis Debray
La République expliquée à ma fille |
Régis Debray
La République expliquée à ma fille
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« Faire des va-et-vient entre le spirituel et le matériel, entre nos pensées et nos appareils, c'est le souci premier du médiologue. Valéry ne connaissait pas le mot. Il l'a mis en pratique en reconnaissant dans telle ou telle invention une puissance de transformation des moeurs et des pensées, c'est-à-dire un esprit en acte, dont la propriété, dans ses premiers temps, est de passer inaperçu. (...) L'intelligence humaine étant artificielle depuis l'âge de la pierre taillée, on doit rendre grâce aux premiers grattoirs et tailloirs qui ont permis à l'homo sapiens de secouer le joug du naturel. Valéry sait cela. Il ne s'en offusque pas. Il veut obstinément comprendre ce que les outils font à leurs inventeurs ... pp. 96-97 »
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Régis Debray
Un été avec Paul Valéry |
Régis Debray
Un été avec Paul Valéry
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« Pour les corps et les âmes, la lutte de la lenteur contre la vitesse, véritable enjeu de survie, a partie liée, dans notre civilisation, avec les capacités du temps littéraire de résister aux défonces stroboscopiques de l'image et du son. Si cette ligne de défense cède, c'est la victoire de la gondole et du cul d'autobus. Comment échapper aux cadences de plus en plus infernales du fast-food, du fast thinking, etc., à consommer sur place et en un clin d'oeil ? Dans le tout-info, digression interdite, flânerie déconseillée, time is money. Avec la peinture et la sculpture, la littérature apparaît comme l'une des plus performantes machines à décélérer. Malgré les formules de la lecture dite rapide, de prélèvement et de picorage, malgré les digests et les extracts, le temps de la lecture reste incompressible, comme celui de la rotation de la Lune et du Soleil. Pour aller de Paris à Madrid, nous mettons cent fois moins de temps qu'un contemporain de Cervantès, mais pour lire Don Quichotte de part en part, nous mettons à peu près le même temps. Le temps intérieur de la méditation poétique de l'existence (...) a échappé aux moyens de locomotion. Ce monstrueux, cet irrémédiable décalage ne rend pas la lecture des classiques très commode, mais peut la rendre attrayante, par contraste, et de plus en plus précieuse pour le rééquilibrage physique et mental de nos organismes déstabilisés par l'incohérence et l'effervescence. Le présent a gonflé. Il est devenu obèse. Il a mangé le passé et l'avenir. Le dégonfler est une nécessité - et un plaisir. Les médias opèrent à coups de stimulations sans mémoire et d'impacts sans avenir ; la littérature desserre l'instant , et met de la syntaxe là où nous nous habituons à une rhapsodie de surprises sans débouchés ni conséquences. L'ordinateur réduit la profondeur du temps, un livre d'auteur prend son temps. C'est un maximum de durée dans un minimum de volume - avec un rapport temps/espace, comme on dit qualité/prix, jusqu'ici imbattable" (page 130-131) »
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Régis Debray
Modernes catacombes |
Régis Debray
Modernes catacombes
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