« (De l'opposition entre vision artiste et vision génétique, p. 133, chap. 4, Vers un matérialisme religieux ) On connaît le dialogue de sourds entre la prolifération charismatique de « l'effet d'art », sans valeur de connaissance, et la connaissance, sans grâce ni sensibilité, de ses causes et facteurs objectifs. Connaisseurs et artistes récusent comme cuistres et philistins ceux qui reconduisent l'oeuvre d'art à ses conditions extérieures, au nom d'une expérience intuitive, incommunicable et intimiste dont ils assurent qu'elle est le vrai de l'art. Chaque œuvre, disent-ils, est unique. Royaume du particulier, l'art exclue toute généralisation, n'admet que la monographie, et le jugement cas par cas. Rien ne peut s'expliquer, tout doit s'interpréter. Sociologues et historiens, de leur côté, accueillent les effusions souvent verbeuses de l'ineffable comme les symptômes de ce qu'ils dénoncent. L'oeuvre d'art, disent-ils, est un artefact social, et la dénégation esthétisante de ce conditionnement social est elle-même un fait social. Derrière ce jeu de dédains croisés, ces accusations mutuelles de terrorisme, peut-être y a-t-il une antinomie de la Raison esthétique, un embarras sans solution analogue au dilemme de l'ethnologue pris entre le désir de participer et le besoin de se distancier. »
|
Régis Debray
Vie et mort de l'image |
Régis Debray
Vie et mort de l'image
|
« Nous n’avons pas à prêter serment aux enseignes des légions, encore moins à baiser la pantoufle. Nous ne sommes pas des supplétifs ni des larbins, mais des utilisateurs. Nos appareils sont des maîtres à penser. En quoi le gouvernement par les normes, autrement plus indolore et moins coûteux que par les blocus et les amendes, est un modèle d’économie des forces. C’est une mise à l’équerre (le sens de norma en latin) plutôt qu’une mise au pas. On dresse et on redresse, par le seul mode d’emploi. La normalisation préemptive des systèmes techniques — éducation, santé, transports, médias — produit une dynamique qui ne se présente pas comme polémique. Elle instaure la référence par capillarité. Elle met de l’ordre, son ordre, dans du disparate, et le rouleau compresseur normatif fait apparaître tout « ce qui résiste à son application comme quelque chose de tordu, de tortueux ou de gauche » (Georges Canguilhem, Le Normal et le Pathologique). L’écart devient faute, et il arrive qu’une négligence ou un hors-piste soit passible de graves sanctions. Cela vaut pour les normes comptables comme pour le droit fiscal. »
|
Régis Debray
Civilisation |
Régis Debray
Civilisation
|
« Comme il y a des mots qui blessent, tuent, enthousiasment, soulagent, etc., il y a des images qui donnent la nausée, la chair de poule, qui font frémir, saliver, pleurer, bander, gerber, décider, acheter telle voiture, élire tel candidat plutôt que tel autre, etc. »
|
Régis Debray
Vie et mort de l'image |
Régis Debray
Vie et mort de l'image
|