« Il est pénible de reconnaître le monde tel qu'il est, et plaisant de le rêver tel qu'on le souhaite. »
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Régis Debray
Eloge des frontières |
Régis Debray
Eloge des frontières
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« La bonté ? Miséricordieux s’intitule le Dieu des musulmans, et c’est bon signe. Ce qui ne l’empêche pas de réserver ses faveurs aux siens : nous d’abord. Les institutions caritatives musulmanes, nombreuses, soignent et soulagent les musulmans. Le Dieu juif s’intéresse aux Juifs, point final. Achille prend pitié de Priam. Josué n’a pas de compassion pour ses ennemis. Celui des chrétiens, moins exclusif, a des vues plus larges. Il veut que tous les hommes soient sauvés, les mongoliens inclus. Pas de saint Vincent de Paul, pas de Mère Teresa dans les religions de la Loi. Chez elles, le caritatif s’exerce à l’intérieur du groupe. Si un juif orthodoxe tombe sur un enfant abandonné au coin d’une route, l’homme en lui le secourra d’instinct, mais il devra triompher de l’orthodoxe : est-il de la Synagogue ou non ? Le musulman regardera aussi son entrejambe pour éclairer sa décision, et le chrétien, que l’enfant soit garçon ou fille, circoncis ou non, le mettra aussitôt chez les sœurs. Le Lévitique fait interdiction aux estropiés et aux handicapés de sacrifier au Temple ; Jésus invite les femmes, les estropiés et les lépreux à sa table. D’un Dieu monade sans portes ni fenêtres, il fait un Dieu monde, à claire-voie. C’est plus aéré, moins décourageant. »
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Régis Debray
Un candide en Terre sainte |
Régis Debray
Un candide en Terre sainte
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« (p. 380, chap.12, Dialectique de la télévision pure) La mise en images du monde, vient le jour où elle fait du monde une image ; de l'histoire un téléfilm ; et d'un combat douteux, comme tous, un western comme un autre. En banalisant l'extraordinaire et en sublimant le banal ; en euphémisant catastrophes et atrocités ; en lissant les événements, tous furtifs et miroitants, également spectaculaires et par là, plus ou moins indifférents ; en favorisant une consommation d'abord ludique, bientôt onirique, et finalement pornographique des actes et des œuvres, faits et méfaits, jeux et désastres, l'effet de réalité finit par déréaliser l'actualité. `…` Fictionnant le réel et matérialisant nos fictions, tendant à confondre drame et docudrame, accident réel et réalité-show, la télévision nous ballotte une fois de plus de thèses en antithèses, « de la fenêtre du monde » au « mur des images », de la musique au bruit et vice versa. Et cette indécidable oscillation est peut-être sa vérité ultime. Facteur de certitude et d'incertitude, summum de transparence et comble de cécité, fabuleuse machine à informer et à désinformer, il est dans la nature de cette machine à voir de faire basculer ses opérateurs de la plus grande crédibilité au plus grand discrédit, en un clin d'oeil, comme nous, les téléspectateurs, du ravissement à l'écoeurement. »
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Régis Debray
Vie et mort de l'image |
Régis Debray
Vie et mort de l'image
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